pourquoi un stage sur l’humour


Parution sur Vie Sociale : “de l’humour et du rire dans le travail social” aux éditions CEDIAS, N°2/2010

Un stage de formation professionnelle
sur l’humour : quel sens ?

Christian Hay*courriel: hay.c@wanadoo.fr

Odile Grippon**Courriel : grippon.odile@neuf.com

Quelle drôle d’idée d’envisager l’humour dans le monde social, l’humour est un moyen de se distraire, c’est tout ; nous le rencontrons au théâtre, au cinéma, dans les livres ou toute autre activité culturelle. Il vient après le travail pour détendre l’employé de sa journée laborieuse. Donner une place à l’humour dans le monde du travail est une idéologie qui consiste à cultiver l’illusion d’un travail sans pénibilité et sans souffrance… Bon, admettons un court instant cette éventualité, mais pour cela, il faudrait déjà connaître l’utilité concrète du sujet. Il faudrait ainsi embaucher des « petits rigolos » pour faire rire les résidents, les usagers et le personnel, il faudrait croire qu’il est possible de transformer un travailleur social acariâtre en petit ange léger, virevoltant, avec un sens de l’humour incontournable à chaque difficulté relationnelle. Il faudra probablement expliquer très longtemps que le sourire que nous avons vu pointer sur le coin des lèvres d’un résident aura une répercussion primordiale sur son avenir. Et puis ne croyons pas que l’humour se déclenche comme ça, d’un seul coup de baguette magique : et hop ! l’ambiance change, tout le monde rit, est heureux et puis voilà, c’est tout.

Le passage que nous venons d’écrire, sorti tout droit d’un détracteur imaginaire, d’humeur grincheuse certes, montre bien les difficultés que nous rencontrons lorsque nous planchons sur l’usage de l’humour en situation professionnelle. Nous essayerons de répondre aux contradictions développées ci-dessus. Nous allons tout d’abord commencer par aborder la question de l’enjeu puis ensuite nous verrons les procédés essentiels pour atteindre nos objectifs et concrètement nous aborderons quelques témoignages qui permettront d’illustrer les différents discours. Nous terminerons par un questionnement global sur la compétence que nous cherchons à développer.

Cet écrit est issu de plusieurs stages de formation intitulé : « L’humour, un outil au service de l’accompagnement éducatif » à l’initiative d’UNIFAF Ile-de-France, dans le cadre d’une action prioritaire régionale pour des travailleurs sociaux. Nous y assurons la formation avec une journée en co-animation.

Les enjeux d’un stage sur l’humour

Nous considérons ici que la relation est l’outil essentiel du travailleur social. La manière dont la relation se construit va orienter le comportement de l’usager ; c’est bien toute la difficulté et la grandeur du métier. Toutefois, le professionnel est parfois confronté aux impasses, à la relation frontale qui bloque toute communication. L’ambition clairement affichée de ce stage est de modifier le type de relation établi avec un résident-usager. Le but est de trouver d’autres formes de communication pour reprendre différemment les échanges, voir la situation autrement et repartir d’un bon pied.

Nous écartons l’illusion de changer l’autre, il s’agit de considérer que le risque majeur du professionnel est l’enlisement, telle une voiture dans le sable. L’humour viendrait permettre au conducteur de contourner l’obstacle et éviter le piège pour reprendre la route. Pour des raisons multiples, il est très étonnant de constater que certains résidents-usagers posent des problèmes non seulement à certains salariés mais aussi à l’ensemble de l’institution. Ils arrivent à mettre en échec toutes les stratégies tentées par les professionnels, les amener à l’impuissance et parfois à l’abandon et au laisser-faire.

Revenons à l’essentiel, pourquoi faire de l’humour dans sa communication ? Une hypothèse simple nous paraît solide, le plaisir de l’humour va laisser une empreinte chez l’interlocuteur et provoquer une attention. Nous pouvons aisément dire que cette hypothèse s’adresse aux enseignants, aux parents, aux commerciaux, aux managers…, bien sûr au monde social et à tous ceux qui cherchent à faire passer un message. L’humour serait la sauce du plat qui servirait à donner du goût à nos propos, en nous invitant par son fumet alléchant à goûter puis déguster la sauce, pour parvenir avec surprise au plaisir de se délecter du plat, autrement dit rire ensemble, partager ce plaisir, pour ensuite aborder ce qui est ou peut être au cœur de la problématique du sujet et/ou de l’institution, de façon détendue, légère et dans une relation authentique.

Dans ce contexte, disons-le, nous restons profondément optimistes (ce qui est d’ailleurs l’une des caractéristiques du clown) et nous gardons à l’esprit qu’il existe des ouvertures, bien sûr institutionnelles mais aussi relationnelles, à d’autres modes de fonctionnement que ceux, établis, qui nous paraissent immuables. C’est ce qui nous intéresse maintenant. Reste à connaître le secret de la réussite et comment arriver à contourner les obstacles pour retrouver, reprendre notre chemin de professionnel.

Les procédés

Trois auteurs éclairent bien la situation. Freud[1] dit que l’humour permet de « lever les inhibitions », nous rions plus facilement des sujets qui nous touchent, nous sommes ainsi libérés d’une tension. Bergson[2] précise que le rire provient des erreurs et des défauts qui nous font penser à un manque d’adaptation, à un « agencement mécanique ». Pour Koestler[3], il suffit d’apporter un élément incongru dans un cadre précis pour provoquer l’humour, d’où son concept de « bissociation ». Il est fort à parier que si nous croisons dans la rue une vieille dame avec un piercing nous aurons de grandes chances de sourire, car pour le moment cette fantaisie n’est pas du domaine de la personne âgée. Ainsi, utiliser les tensions, l’incongruité et les erreurs seraient autant de pistes pour provoquer des situations humoristiques.

L’élément essentiel, qui ressort dans les témoignages que nous allons vous présenter ultérieurement, est la notion d’inattendu. Nous nous rapprochons du concept de « bissociation » de Koestler. L’inattendu serait l’amorce de notre changement relationnel espéré. Par son étonnement, sa surprise et sa déstabilisation, l’inattendu serait le déclencheur d’une nouveauté dans la suite des événements.

Citons pour exemple le cas d’un jeune adolescent qui passe son temps à déjouer la surveillance des éducateurs pour fuguer ; ceux-ci s’épuisent à tenter de le retenir. Quand, une nouvelle fois, il réussit à « s’échapper », un éducateur lui court après jusque dans le parc de l’institution. Ce dernier, sportif, rattrape finalement le fugueur ; celui-ci s’arrête, à bout de souffle. L’éducateur le dépasse en lui disant avec humour : « alors, c’est fini le footing aujourd’hui ? ». Cette simple réflexion surprend l’adolescent qui revient tranquillement au foyer en compagnie de l’adulte, en discutant avec lui. Cet adolescent aura pu expérimenter une réponse inhabituelle de l’adulte qui l’a décontenancé en l’invitant à réagir à son tour autrement qu’à l’habitude.

À l’inverse, le monde professionnel est chargé d’attendus où personne n’est dupe, aussi bien l’employé que le résident-usager.
Le langage et le comportement sont souvent bien codifiés avec peu de place à l’original. L’un connaît le discours de l’autre. Nous avançons d’ailleurs l’idée que c’est la source principale des blocages relationnels que nous évoquions plus haut.

Place et gloire donc à l’inattendu dans ce stage, retrouvons l’état d’esprit imaginatif qui mettra en exergue l’anecdotique, l’anodin, la petite chose qui déclenchera une relation différente, abandonnons momentanément le discours établi pour provoquer une interrogation chez l’autre. D’ailleurs, souvent, dans la communication, l’argument est inefficace. Le point d’interrogation dans un esprit portera un jour ses fruits : il fait le même chemin qu’une petite graine dans la terre qui pourra un jour germer et donner vie à une plante qui elle-même donnera des fruits…

C’est ici que peut intervenir et prendre toute sa place le clown, car il ne parle pas avec des discours appris, il parle et surtout vit les situations avec sa naïveté, son cœur et son humeur du moment. L’intro­duction du personnage du clown dans la formation sur l’humour est un atout ou un outil supplémentaire permettant un point de vue différent, comme s’il nous offrait la possibilité de regarder par la fenêtre au lieu d’ouvrir systématiquement toujours la même porte. Dans le cas d’un entretien professionnel, il permet ainsi d’aller sur le terrain des sensations, des sentiments, des émotions dans la relation, sans se laisser submerger par eux. Nous nous servons par la suite de ces ressentis exprimés pour construire des hypothèses différentes dans l’analyse de la situation et produire une approche nouvelle qui se veut pertinente, inattendue et incongrue et, paradoxalement, juste dans la préoccupation du professionnel.

C’est en restant dans une relation duelle ou frontale que le blocage intervient, l’inattendu est basé sur un triptyque, une construction sur trois plans, nous suivons une boule de billard qui se dirige vers le bord pour choquer une autre boule qui elle-même en tapera une autre qui, elle, atteindra directement son but. Pour certains nous faisons un pas de côté, et sortons des chemins tout tracés. Nous ne nous dirigeons pas vers l’objectif professionnel directement, nous portons notre attention sur un petit rien, à la marge de ce qui paraît être l’essentiel à « tenir à tout prix ». Un petit rien qui peut être complètement décalé et apparemment sans rapport direct avec les objectifs que le professionnel doit atteindre.

Quelques illustrations issues du terrain et
 travaillées au cours de la formation

Ces témoignages résultent de situations travaillées en formation avec une mise en application en intersession. Dans ces récits, nous ne parlerons pas de réussite parce que c’est parfois difficile de la définir et que nous n’avons pas assez de recul dans notre observation. Nous parlerons seulement de réussite sur la capacité de transformer une relation qui s’engage avec des conflits préétablis.

Au cours du stage, nous établissons une réflexion à partir d’une succession de jeux de rôle pour, dans un premier temps, analyser la situation problème et petit à petit tester les idées nouvelles que le groupe apporte. Ce travail peut se faire avec ou sans intervention du personnage « clown » ; nous aborderons plus tard la dimension nouvelle qu’apporte ce dernier.

Mais auparavant, mettons-nous d’accord sur les termes : les résidents-usagers sont les personnes prises en charge, les stagiaires sont les participants au stage de formation sur le thème de l’humour et le groupe constitue l’ensemble des stagiaires, le joueur est pour nous le stagiaire dans son jeu de rôle.

La douche refusée

Un résident « psychotique » refuse régulièrement la douche du matin. Chaque professionnel s’évertue à trouver des arguments, garde son calme, essaye de faire diversion en parlant d’autre chose et au final, finit par parler « la grosse dent » car la situation se sclérose.

Deux stagiaires ont essayé de rentrer dans la chambre avec un autre état d’esprit qu’une centration sur la douche. Le premier s’est mis à prendre la guitare, jouer faussement et feindre le sérieux. Il a obtenu rire, moquerie et un déclenchement d’une relation nouvelle. L’autre a adopté le même procédé avec le poisson rouge d’un autre résident, et dans la magie du jeu a simulé une discussion avec ce nouveau compagnon. Ce qui a également provoqué des rires et ouvert sur une nouvelle relation.

Notre hypothèse est la suivante : le résident sait par avance que l’éducateur vient pour lui faire prendre sa douche. Il connaît le discours et exerce son pouvoir de refus en sachant que le professionnel est alors en échec. L’intérêt ici est de trouver la surprise, l’inattendu qui permette une autre relation dans l’instant (dans le rire et la détente) et ouvre des pistes pour une relation progressivement nouvelle et durable dans le temps : une relation de confiance à l’intérieur de laquelle le résident-usager se sent exister en tant que Sujet aux côtés du professionnel.

Un comportement moqueur

Nous avons ici un résident qui refuse son placement en institution. Il estime ne pas présenter de handicap comme les autres et se moque régulièrement de certains résidents. L’éducatrice qui nous a relaté cette situation racontait son impuissance face à celle-ci, elle sentait un climat qui se détériorait dans le groupe. Les moqueries devenaient insupportables pour certains et le résident s’enfermait petit à petit dans son comportement qui en faisait rire certains et en blessait d’autres. Cela mettait donc le professionnel en difficulté avec l’impossibilité d’arrêter le sarcasme et l’humiliation face aux traits de caractère ou physique de certains, avec des complications pour le bon déroulement des repas et des activités. Visiblement cette situation durait depuis deux ans et la stagiaire témoignait de son sentiment d’impuissance face à la situation.

Après plusieurs jeux de rôles, le groupe a proposé de mettre en valeur les talents d’imitation de ce personnage. La stagiaire a donc envisagé autrement la situation et nous rapporte ce qu’elle a pu expérimenter dans l’intersession. Elle a demandé un matin au résident de faire une imitation, ce qui provoqua une première surprise. Ensuite, elle a demandé une imitation d’un personnage politique et a finalement établi avec lui un programme d’imitation dans la semaine. Pas grand-chose, dirions-nous, en apparence, mais la professionnelle a ainsi repris les rennes, elle a pu dans le laps de temps du témoignage canaliser la durée d’imitation, dévier l’imitation à l’encontre des autres résidents et calmer un climat de tension au sein du groupe.

Nous constatons ainsi que la volonté d’arrêter ce comportement alimentait la situation -problème et que la situation bougeait lorsque le talent était utilisé car cela permettait en même temps de le canaliser. Au passage, notons que nous avons une bonne chance ici de voir une modification sur l’intégration du personnage dans son institution.

Les apports du « clown »

Le personnage de clown-théâtre est invité à prendre place dans un jeu de rôle, soit en s’ajoutant dans un rôle défini, soit en prenant la place d’une des personnes en difficulté (en l’occurrence le travailleur social). Le clown Auguste « est celui qui prend des tartes à la crème et des coups de pied au derrière. C’est l’idiot, le mal aimé, l’exploité, celui qui porte la misère du monde. Mais il est heureux et rend son public heureux… la mort n’a jamais le dernier mot, puisque tout finit toujours dans le rire[4]. »

Quand nous disons clown ce n’est pas celui aux grandes chaussures et à la perruque qui se soulève mais le personnage sensible et authentique, naïf, généreux et profondément optimiste, humain dans son rapport au monde.

Souvent ignoré au début du jeu, il y prendra progressivement sa place, grâce à une empathie profonde et non complaisante avec ceux qui souffrent d’un côté comme de l’autre ; en effet, le clown peut être à la fois compréhensif et éprouver de la compassion pour le résident et en même temps pour l’éducateur, basculant d’un côté à l’autre selon ce qu’il écoute, observe, ressent, éprouve, agit…

Robert Escarpit écrit : « l’humour est l’unique remède qui dénoue les nerfs du monde sans l’endormir, lui donne sa liberté d’esprit sans le rendre fou et mette dans les mains des hommes, sans les écraser, le poids de leur propre destin[5]. »

Au cours d’un stage, nous avons planché sur le sujet de la masturbation en présence des autres résidents, notamment lors des soirées télévisées. L’intervention de Nitouche (n’y voyez pas de jeu de mot puisque c’est le nom de scène d’Odile Grippon) dans un jeu de rôle a permis d’observer tout d’abord une approche du clown étonnée et gênée face à l’acteur : celui qui joue le résident, s’exhibe (de façon symbolique, nous vous rassurons !) sans interrogation apparente sur ce qui lui semble normal. Puis arrive un échange de regard et d’incompréhension de part et d’autre ; Nitouche ne comprend pas pourquoi le joueur se permet cette pratique en public et l’acteur-résident est lui-même étonné de la stupéfaction de Nitouche. La parole arrive ensuite :

Nitouche – pourquoi tu fais ça ici ?

Le joueur – eh bien regarde tout le monde le fait

Nitouche – mais arrête, c’est gênant, moi quand je fais cela, je le fais dans ma chambre.

Le joueur – Ah bon !!!

Le sujet parfois tabou, ne serait pas toujours pris en compte dans les institutions, laissant ainsi chaque professionnel dans une difficulté face à des règles et/ou des limites non clairement établies. La demande de Nitouche de faire cet acte dans la chambre, parce que cela la gêne, autorise avec limite la masturbation. Le clown, dans sa spontanéité a permis de trouver une sorte de compromis sur un sujet qui provoquait gêne et difficulté sur l’attitude à adopter. Mais surtout, nous quittons ici une moralisation ou un jugement, deux ingrédients efficaces pour installer un conflit ; il y a une relation authentique, entre adultes, car chacun s’exprime et échange sur le sujet.

Voici un récit sur un autre sujet, l’accompagnement en fin de vie. Plusieurs stagiaires ont souhaité travailler ce sujet. Nous avons pris une situation réelle où le résident vient d’apprendre le caractère incurable de sa maladie. Les premiers jeux de rôle dévoilent qu’il est difficile de s’écarter des paroles qui se veulent positives mais qui au final ne laissent entrevoir aucun espoir, les discours et comportements sont attendus et très vite l’embarras arrive.

Pour illustrer ces propos, nous vous proposons un extrait de conversation que nous avons eu alors que nous préparions cet article, notamment cette réflexion de Christian Hay :

« Je me rappelle de ton intervention une fois sur la mort. On avait travaillé le sujet d’une fin de vie et l’attendu du discours, tout le monde le connaît. “Il ne reste pas longtemps mais le peu qu’il te reste, ça vaut peut-être le coup de le vivre à fond“. C’est le genre de truc bateau et qui n’intéresse pas. Dans le jeu de rôle, le résident a ressorti son ressenti : “ce sont des discours qui ne me touchent pas, qui m’énervent, des discours qui me cassent les pieds”.

 Et toi, Nitouche, tu étais arrivée et tu avais montré ton désarroi face à la maladie, tu avais montré ton stress, tu avais montré ta colère vis-à-vis du monde médical en disant «” mais comment ça se fait qu’ils n’arrivent pas à trouver de solution, c’est pas normal” ». Et puis après, tu avais dit « “mais il y a de la neige dehors (c’était en hiver et il y avait effectivement de la neige dehors), demain il faudra que je t’amène de la neige et tu vas pouvoir la toucher, ce sera marrant” ». Et ça vaut 36 discours… Le témoignage dans le jeu de rôle du résident qui était en fin de vie, a été le suivant : “je préfère entendre quelqu’un qui me dit, je t’emmène de la neige, que quelqu’un qui me dise  il ne te reste pas longtemps mais il faut que tu profites de la vie. Ca ne sert à rien ça, ça n’aide pas”.

C’est une idée qui me fait penser qu’on quitte les grands principes. On quitte le stéréotype, le cliché et on s’intéresse à l’anecdotique, au petit rien de l’instant présent qui permet de se sentir en vie, c’est rien et c’est beaucoup ; c’est concret ».

Ainsi, les témoignages chez les stagiaires pleuvent, plusieurs ont vécu ce sentiment et expriment une grande difficulté à apporter un petit quelque chose qui fait du bien dans ce type de situation.

Nitouche a éclairé des pistes face à un sujet délicat. Elle a tout d’abord montré son désarroi, exprimé clairement son interrogation face au monde médical impuissant, et puis, subitement, elle trouve une idée simple, « je vais aller te chercher de la neige ». La prise en compte de la situation hivernale du moment a permis d’établir une relation autrement plus légère que la précédente car le discours soi-disant positif était empreint d’un sentiment de vide sans avenir. La perspective d’une neige touchée a apporté poésie et légèreté, un petit quelque chose qui a permis un simple sourire chez le résident-joueur.

L’humour : pour quelles compétences ?

Trois compétences essentielles se dégagent dans ce travail : la prise en compte de soi, la décentration et l’abandon de l’argumentation. Trois domaines difficiles à associer avec la dimension professionnelle, le discours, le comportement appris.

La prise en compte de soi signifie un regard humain et non technique dans la relation. Il s’agit de construire un lien avec ses ressentis et ses humeurs. D’ailleurs, d’un point de vue étymologique, le mot humour nous vient de l’humeur, une sorte de fluidité interne propice à modifier l’état d’esprit. L’humoriste dans sa définition première est tout d’abord le partisan de la théorie des humeurs, l’ancêtre du médecin. Faire de l’humour est donc un « je » qui parle. D’ailleurs, très souvent le jeune professionnel comprend très vite qu’il faut se protéger et ne pas absorber la difficulté de l’autre comme une éponge. Le seul souci à cela est de pouvoir garder une distance nécessaire pour travailler sans pour autant être trop éloigné du sujet. Il s’agit de retrouver un lien quand il n’existe plus, mais un lien qui vient d’abord du « soi ».

La décentration demande de pouvoir quitter momentanément l’objectif affiché pour engager une véritable relation. C’est d’abord la tension trop forte vers un objectif qui sclérose parfois l’action. Mais si nous écoutons certains témoignages, nous constatons que les problèmes relationnels grandissent au fur et à mesure que l’attachement à l’objectif augmente. La décentration devient la capacité au recul, à l’évitement, à la relation frontale quand elle fait échec.

L’argumentation, la raison et la logique ont leurs faiblesses, il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre. Nous avons tous été confrontés à vouloir faire passer un raisonnement a priori indéfectible. Ici, nous cherchons à mettre en exergue le symbolique, la suggestion et l’imaginaire. La communication n’est pas seulement le résultat d’un émetteur brillant, c’est aussi la capacité à faire « grandir les oreilles » de l’interlocuteur. L’humour ne cherche pas à convaincre, il cherche surtout à déposer un doute et une interrogation, élément moteur au changement.


* Formateur-consultant psychosociologue,  Hay Formation-Conseil

** Formatrice en IRTS, Bataclown, co-fondatrice de l’association Tapataclé.

[1]. Sigmund FREUD, Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Paris, Gallimard, 1930.

[2]. Henri BERGSON, Le Rire, Paris, PUF, 1940.

[3]. Arthur KOESTLER, Le cri d’Archimède, Paris, Calmann-Lévy, 1965.

[4]. «Gab le clown de Dieu », Panorama, déc.1998, p. 50.

[5].  RobertESCARPIT, L’humour, Paris, PUF (Que sais-je ?), n° 877, 1987.